Portrait du 31 Mars 2014, Justin Laban
Par Yves Ginesta • 30 Mar, 2014 • Catégorie: Le portrait de la semaine •Pour ce 21ème portrait, nous allons vous présenter une Institution, le plus vieux Monsieur de St Jo, et quel Monsieur : Notre Abbé Justin Laban. Il a accepté de se plonger dans ses souvenirs et de nous faire partager tous ses trésors d’histoire et de vie… Un pur bonheur à écouter, à écrire, et je l’espère, pour vous de le lire !
Et comme vous vous en doutez, cette interview, comparée au vécu d’un élève de 12 ans, est forcément beaucoup beaucoup plus longue… Vous aurez donc droit, à une suite le lundi 6 Avril 2014…
Céline Ruiz : Mon père, question très indiscrète pour commencer, vous avez quel âge ?
Justin Laban : Je vais bientôt finir mes 90 ans.
C.R : Vous êtes arrivés à St Jo en quelle année ?
J.L : Je suis là depuis 1937, mais quand je suis venu, c’était un collège tout à fait différent. A l’époque il y avait comme professeurs 18 prêtres, il n’y avait pas de professeur laïque. J’ai vu surtout les changements de paysage. C’était le collège St Joseph qui depuis 1907 recevait aussi les élèves du séminaire de Bayonne. Parmi ceux qui étaient élèves à ce moment-là, il y en avait qui étaient là pour préparer le bac, et d’autres qui étaient là pour passer le bac mais pour se préparer aussi à aller au grand séminaire, ce qui fût mon cas (le séminaire étant l’endroit où on se prépare pour être prêtre).
C.R : Dans les années 30, je crois qu’il n’y avait pas encore de cours d’agriculture ?
J.L : Et non, ça fait juste 60 ans cette année, ça n’a donc commencé qu’en 1954. En 1954, il n’y avait que 7 ou 8 élèves. Ils se sont déjà réunis, et vont se réunir de nouveau cette année pour fêter les 60 ans. Parce que jusque-là, c’était simplement de l’enseignement secondaire dépendant du ministère de l’éducation nationale. Mais par contre, les abbés Dupont qui avaient fondé la maison, s’intéressaient beaucoup à l’agriculture, et c’est comme ça qu’après avoir réalisé le collège, construit les bâtiments essentiels du collège en 1887, en 1891, ils construisirent une belle étable, qui fût étable modèle pour la région même. Et du coup, après, ils n’eurent plus d’argent pour construire une chapelle parce qu’ils devaient s’occuper du principal. Par contre, ce qu’ils firent à partir de ce moment-là, parce qu’ils étaient trois frères prêtres, ils réalisèrent la construction de ce qu’on appelle à l’époque l’hospice St Joseph, c’est-à-dire la maison St Joseph qui est devenu actuellement maison de retraite.
C.R : En 1937, vous êtes arrivé en quelle classe ?
J.L : En 6ème. Eh oui, c’était les mêmes classes qu’aujourd’hui.
C.R : Vous avez donc connu l’occupation de St Jo par les allemands ?
J.L : Entre temps ça a été la guerre. Certains professeurs sont partis à la guerre, ont été prisonniers, et sont revenus après, comme l’abbé Caubet par exemple qui est mort à cent ans l’an dernier.
C.R : Pendant la guerre, on a ici des images fortes de St Jo avec le drapeau nazi qui flotte dans le cloître, pouvez-vous nous raconter un peu cette époque ?
J.L : En 1942, le collège a été occupé par l’armée allemande.
C.R : Et vous, vous continuiez à avoir cours ?
J.L : Et oui, tous les élèves n’étaient pas restés, mais nous qui étions en principe destinés ou qui souhaitions devenir prêtre, on nous avait gardé les places pour cela, on continuait à avoir cours, mais il n’y avait qu’une partie de la maison qui était à notre disposition et un certain nombre d’élèves allaient dormir à la maison St Joseph en bas. Et moi-même, avec d’autres, on allait dormir dans des fermes ici au-dessus.
C.R : Pourquoi, parce que les dortoirs étaient réquisitionnés par les allemands ?
J.L : Et oui, et c’est à ce moment-là qu’ils avaient mis le drapeau avec la croix gammée. On les entendait, parce qu’on était dans des bâtiments nouveaux ici qui avaient été faits simplement en 1939 juste avant la guerre. Ce corps de bâtiment était resté à notre disposition, pendant que nous étions là, quand les allemands faisaient des manœuvres dans la cour, quand ils marchaient au pas ou qu’ils criaient, c’était pas facile de suivre les cours et de travailler, mais ça fait rien. On a vécu des choses…
C.R : Est-ce que vous aviez peur ?
J.L : Non, pas vraiment, parce qu’au bout d’un certain temps, on s’était habitué à vivre avec ces allemands. Ils ne nous faisaient pas mal, Ils avaient occupé le préau où ils avaient entassé les obus, les canons étaient stationnés dans la cour de récréation vers la ferme, et puis ils occupaient le reste de la maison, mais non non, ils n’étaient pas méchants pour nous. D’ailleurs on a gardé une photo, qu’il est possible de voir aussi, où l’un de ces derniers occupants, un jeune allemand qui était tout jeune, à peine 18 ans, peu de temps avant qu’ils partent parce qu’ils avaient été affectés ailleurs, discute avec les professeurs d’ici. Par contre, on vivait à ce moment-là comme tout le monde en France avec une alimentation disons « modérée ».
C.R : Oui, parce que du coup, vous ne mangiez pas la même chose qu’eux ?
J.L : Ah non non, eux faisaient leurs propres plats, mais ils avaient laissé ici une partie de la cuisine à notre disposition. Ce qui fait qu’on mangeait ici dans l’arrière cuisine, bon on était pas très nombreux, mais on mangeait à la dure, comme toutes les autres familles. Attention, on a pas été des héros pour ça !
C.R : Donc cette période, moment fort de votre vie…
J.L : Oui, et puis après quand on a passé le bac à la façon de l’époque. Parce que le bac, c’était sans option, on passait le français, mais aussi le latin, le grec, la langue espagnole… Les études n’étaient pas les mêmes. On faisait beaucoup d’exercices, le temps de cours était relativement limité mais le temps de travail était conséquent. On avait les grandes vacances, mais pour le reste, on avait 2 jours à la Toussaint, 3 jours à Carnaval, 3 ou 4 jours à Noël, 5 ou 6 jours à Pâques, et c’est tout ! Mais on avait chaque semaine des promenades, alors on partait en rang avec les surveillants qui nous accompagnaient, et c’est comme ça qu’on découvrait ici la campagne des environs. Et puis la saison on ramassait des châtaignes, ou bien on cueillait des écrevisses dans le Beez là-bas en bas. Non, on vivait bien !
C.R : Vous avez été ordonné prêtre à quel âge ?
J.L : Avant d’être ordonné prêtre, je suis parti au Grand Séminaire à Bayonne, pour avoir la formation pour être prêtre. Seulement, en 1946-47, comme j’étais dans une classe qui aurait dû être au service militaire mais qui n’a pas été appelée, on nous a dit « bon vous allez faire une année de stage », et on m’a envoyé en stage tout simplement à St Joseph de Nay. Ce qui veut dire qu’en 46-47, j’étais déjà professeur stagiaire ici. Et c’est là que je me suis réconcilié avec la vie et le travail de professeur, parce que jusque-là, je voulais surtout pas être professeur. Mais là je me suis aperçu que lorsqu’on surveille le dortoir, qu’il y a des enfants qui pleurent parce qu’ils ont mal aux dents, que ceci ou que cela, on finit par comprendre que la vie même d’un surveillant est une occasion d’être proche de ceux qui sont là, de les aider et de les écouter au moins, et quelques fois de répondre à ce qu’ils ont besoin.
Là, j’y suis resté un an, et le supérieur de l’époque m’a convoqué et m’a dit qu’il aimerait que je fasse des cours d’agriculture. Moi je lui ai répondu « des cours d’agriculture ?? », et oui, il m’a dit, « parce que les jeunes qui viennent ici sont des environs, ils viennent passer le certificat d’études, et ils veulent quelque chose en plus donc vous allez leur enseigner l’agriculture ! ». Moi je lui ai répondu : « Mais je ne l’ai pas étudiée moi ! ». Alors il m’a dit : « Mais votre père est agriculteur ! », j’ai renchéris : « Oui, mais le leur aussi, donc ce que leur père leur a appris, mon père me l’a appris ! ».
Ce qui fait que lorsque j’ai été ordonné prêtre en 1950, tu vois ça emmène loin déjà, pendant les vacances, on m’a dit vous irez à Toulouse à l’école supérieure d’Agriculture de Purpan, comme ça vous vous formerez pour l’Agriculture, il n’y a pas de prêtre formé pour ça, et puis, on vit dans un monde rural, les Abbés Dupont étaient aussi pour le monde rural. C’est comme ça que j’ai été à l’école de Purpan, comme j’avais déjà le bac, je n’y ai fait que deux ans, j’ai passé l’examen final comme tout le monde. J’ai même commencé une thèse qui n’a jamais été finie bien sûr ! C’est pour ça que je n’ai pas le titre d’ingénieur, certains le disent, mais non, je n’ai pas une tête pour ça d’ailleurs.
C.R : Vous aviez présenté une thèse sur quoi, vous vous en rappelez ?
J.L : Oh oui oui, sur l’évolution de la vallée de Pontacq, la vallée de l’Ousse, comparée à celle de la vallée du Gave de Pau. J’avais des photos aériennes, j’ai les documents encore, j’ai gardé les photos parce que c’est intéressant de mesurer cette évolution du monde agricole. Car il faut bien se rendre compte que c’était une période très importante, parce que juste après la guerre, ici on a découvert le maïs hybride à l’américaine, ça a été une occasion de faire beaucoup de progrès. Les rendements ont été multipliés par deux ou trois, voire plus. Et puis on a appris à ne plus simplement utiliser les herbes telles qu’elles poussent, mais à semer des prairies permanentes. C’est pour ça qu’un copain de classe, un certain Xavier Bonnemaison qui était de St Abit, un oncle à J.Pierre Junca, m’avait demandé de faire ici dans la maison, des champs d’expériences. C’était les premières expériences que l’on faisait sur les désherbants chimiques, ce qui était absolument unique. C’est comme ça qu’on a eu la visite de gens de tous les pays d’Amérique du Sud, des russes même ! Vers 1956 ou 57, à cette époque je vivais tout le temps avec la soutane, sauf quand je travaillais dans les champs d’expériences ou je portais alors des habits comme les surplus américains, j’étais costumé en vert et rouge. Ce qui fait que les voisins ils se disaient « c’est que ces gens-là ils sont forts quand même, ils ont réussi à avoir un prisonnier allemand pour leur cultiver les champs ! ». Quand je passais au bord de la route pour aller désherber les champs d’expériences, j’étais costumé pour eux comme un prisonnier allemand !
C.R : Ces champs d’expériences, ils se trouvaient où ?
J.L : De l’autre côté, en fait là où il y a le parking maintenant. Et quand les russes sont venus, c’était une après-midi, et ça a été une histoire extraordinaire, j’étais habillé en soutane, mon copain arrive, on se parle simplement et en souriant. Les russes nous regardaient, nous regardaient, et juste à ce moment-là arrivaient les élèves en file indienne pour entrer dans la chapelle, parce qu’à cette époque-là il y avait une cérémonie de prière à la chapelle dans l’après-midi, c’était au mois de rosaire, au mois d’octobre, les portes étaient grandes ouvertes, il y avait les cierges allumés qu’on voyait de loin, et il fallait voir la tête de ces russes qui regardaient avec des yeux vers la chapelle allumée et les élèves qui restaient là. Ça devait leur rappeler pleins de choses, parce qu’attention, c’était l’époque du marxisme. Eux avaient été la première équipe d’ingénieurs autorisée à passer ce qu’on appelait « le rideau de fer » ! On va dans les jardins visiter, parce qu’il y avait aussi des expériences là-bas, et sur les côtés, il y avait des orties. Et il y a un de ces ingénieurs qui a voulu en ramasser. L’autre l’arrête et lui dit : « non non, prends pas ça ! ». Il rétorqua « pourquoi ? ». J’ai compris à ce moment-là qu’entre eux ces ingénieurs ne se comprenaient pas, ils ne parlaient pas tous la même langue. L’autre a essayé de lui expliquer, et finalement il lui a dit « urtica urens !», c’est le nom latin de la plante « ortie brulante » ! C’est comme ça que par le latin, deux ingénieurs russes ont pu se comprendre chez nous dans le jardin du collège ! Ah, j’ai vécu des choses…
Il en rigole encore !
Suite le lundi 6 Avril…